Changer pour durer

«  Ce changement, on peut ne pas l’aimer… mais il faut le préférer ! ». Paraphrasant Simone de Beauvoir, François Garrain résume la confusion des sentiments, où la nostalgie le dispute à l’urgence. L’emblématique président de l’association Musicalarue n’oublie pas ses 15 ans en 1968, la première fête de village organisée avec sa bande de copains, «  ces moments de franche rigolade » autour du 15 août, mélangeant joyeusement musiques d’ici et d’ailleurs, spectacles de rue et défilés carnavalesques. Le festival cultive depuis 1990 cet héritage, ce « sentiment d’appartenir à une grande famille joyeuse, pleine d’humanité, et qui n’a d’autre ambition que de passer de bons moments en musique. »

Pourquoi changer les dates alors ? Parce que du succès du festival de l’été dépendent les actions culturelles que Musicalarue développe dans son territoire de Cœur Haute-Lande. Depuis 2015, la salle de spectacle « Les Cigales » offre une programmation de qualité tout au long de l’année. « Musicalarue à domicile » amène la culture chez les habitants ou dans des lieux atypiques (centre commercial, prison, EHPAD…). Enfin, au mois de mai, « Musicalarue sur un plateau » met en scène une trentaine d’artistes en devenir. Pour mener à bien ces projets, l’association emploie 9 salariés à plein temps, effectue de nombreux déplacements. Sans un festival rentable, ces offres culturelles, largement déficitaires, n’existeraient plus. «  Les cigales de l’été permettent le travail des fourmis de l’hiver », image joliment François Garrain.

Or, les artistes de renom, indispensables pour attirer un large public, sont de moins en moins disponibles au mois d’août. Sur les 18 noms à l’affiche de cette édition 2020, 14 auraient été absents le 15 août. Alertée par Bastien Perez, le programmateur du festival, la direction de l’association n’a pas tergiversé : «   nous avons pris la décision en trois jours au mois d’octobre. Elle était facile à prendre car il n’y avait pas d’autre choix », assure François Garrain qui poursuit : « Pourquoi se laisse-t-on aller à une programmation rutilante avec des artistes de zéniths ? C’est parce qu’on en a besoin pour entretenir nos spectacles toute l’année. »
 

Le président de Musicalarue n’exagère pas : l’affiche fait saliver. Dès le vendredi 31 juillet, pour sa première apparition à Luxey, - M – partage la vedette avec Roger Hodgson, la légende de Supertramp. Et l’on imagine avec gourmandise qu’ils renouvellent leur emballant duo des arènes de Nîmes en juillet dernier. Autre intrigante association qui a certainement traversé l’esprit du rusé Bastien Perez : Angèle et Philippe Katherine, qui seront programmés le samedi 1er août. Le lendemain, Soprano achèvera son triomphal Phoenix Tour – plus de 100 dates à guichets fermés avec 5 stades dont deux Orange Vélodrome complets – à Luxey, village landais de 700 habitants. Le même soir, la présence d’Alain Souchon et d’Oxmo Puccino confirme la vocation éclectique de la programmation. Bastien Perez peut légitimement se réjouir : «  Au final, on a réussi à avoir tous nos plans A. Des artistes comme Angèle ou Soprano ne se produisent que 8 fois cet été et ils ont reçu 40 offres… »

Une reconnaissance pour ce festival résolument rural. Au-delà des 18 artistes déjà annoncés, ce seront, en 3 jours, plus de 80 groupes et compagnies qui proposeront plus de 200 spectacles sur 15 lieux dispersés dans le village. François Garrain le martèle : « les dates changent, mais le festival ne change pas ». Les arts de la rue auront toujours la part belle, avec une attention particulière aux compagnies départementales et régionales, et Luxey reste fidèle au métissage culturel et au développement des jeunes artistes.
 

Et pourtant… « Durer est devenu une performance », souffle François Garrain. Les festivals indépendants comme Luxey doivent faire face à la concurrence des Zéniths, des festivals marchands et de puissants opérateurs privés comme Vivendi qui rachète de nombreuses manifestations (Garorock à Marmande, les Déferlantes à Argelès…). Les organisateurs luxois sont aussi confrontés à l’inflation du cachet des artistes et du coût technique des shows. Sans oublier des impératifs de sécurité toujours plus contraignants.

Résultat : «  il a fallu trouver 250 000 € supplémentaires », souligne François Garrain. Après avoir beaucoup sollicité partenaires publics et privés, les organisateurs se sont résignés à augmenter le prix des billets (de 38 à 44 € pour une soirée ; de 65 à 80 € pour 2 jours ; de 90 à 105 € pour 3 jours), mais « ce sera quand même moins cher qu’ailleurs » assure le président de Musicalarue. Rachel Durquety, vice-présidente du Département en charge de le Culture, renchérit : « De plus en plus, le public devra être aussi militant que les organisateurs en acceptant de payer un peu plus cher. »

L’affiche de l’édition 2020, réalisée par le collectif  Biensûr représente un yéti hirsute, coloré, tous sens en éveil, et qui tire la langue. Une jolie allégorie de ce festival de village qui continue à faire le pied de nez aux grosses machines…