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L’Abbaye d’Arthous et les premiers peuples du saumon

25/06/2025

Contribution externe

Aurélien SIMONET

167 vues

Catégorie(s) de la page :

© Yohan Espiaube

Découverts dans l’abri Duruthy à Sorde-l’Abbaye et conservés au musée départemental d’histoire et d’archéologie, les restes de poissons paléolithiques font actuellement l’objet de nouvelles études.

Les populations nomades du Paléolithique* qui se sont installées au pied de la falaise du Pastou à Sorde-l’Abbaye pendant la dernière glaciation sont connues pour chasser de grands herbivores de steppe et notamment le renne. Peaux, os, bois, tendons, moelle étaient essentiels à leur survie. Ce que l’on sait moins en revanche, c’est la place accordée à la pêche dans leur alimentation. Les restes de poisson se conservent beaucoup moins bien et ont pu être négligés ou sous-évalués lors des fouilles anciennes. D’autre part, comme l’a démontré le chercheur Jean-Marc Pétillon (CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès), notre vision est biaisée par le fait que la hausse du niveau marin après la fin des périodes froides de la Préhistoire a entraîné l’engloutissement les sites côtiers.

Ainsi, les sites préhistoriques dévoilant d’importantes activités de pêche restent encore rares. Avec ses 273 vertèbres de poisson conservées dans les réserves de l’Abbaye d’Arthous pour une surface fouillée de 25 m2, l’abri Duruthy fait figure d’exception (figure 1). Il faut dire que cet abri-sous-roche est idéalement situé pour la pêche, à 600 mètres environ de la rive droite du Gave d’Oloron qui prend sa source dans les Pyrénées. 

Si le saumon a hélas disparu des bassins de la Gironde, de la Loire (depuis les années 1960, mais depuis il est revenu timidement dans le bassin Loire-Allier) ainsi que des rivières bretonnes, il est d’ailleurs encore présent et pêché dans le bassin des gaves qui constitue depuis 15 000 ans le plus grand système hydrographique français à saumons. Depuis 1988, le saumon atlantique, menacé de disparition, fait partie de la liste des espèces de poissons protégées sur l’ensemble du territoire national. 

Figure 1 - Restes de poissons paléolithiques de l’abri Duruthy à Sorde-l’Abbaye © Yohan Espiaube

L’abri Duruthy et la pêche dans la Préhistoire

Les vertèbres de poisson découvertes à l’abri Duruthy proviennent uniquement de la couche 3 (Magdalénien* supérieur), de loin la plus riche du site. Les restes de poisson sont donc un peu plus récents que les célèbres sculptures de chevaux qui proviennent quant à elles de la couche 4. Une datation au carbone 14 réalisée sur un échantillon de renne de la couche 3 a donné 15 536-16 008 ans cal BP*. Récemment, une seconde datation au carbone 14 sur une pièce en rorqual commun de la couche 3 (pièce no 1979.1.77) a donné 17 584-16 913 cal BP. 

Il est possible d’en déduire que les activités de pêche peuvent avoir été réalisées en un seul ou plusieurs épisodes étalés dans le temps entre 15 500 et 17 500 ans avant le présent. Car ce que les archéologues identifient comme une couche peut en réalité correspondre à plusieurs épisodes d’occupation du site. Dans un abri sous-roche, ces différentes phases d’occupation peuvent être difficiles à individualiser au moment de la fouille, d’autant plus si celle-ci est ancienne comme c’est le cas à Duruthy. 

En 1983, le préhistorien responsable des fouilles et ancien conservateur du musée de l’Abbaye d’Arthous Robert Arambourou (1914-1989) signale avoir découvert 41 vertèbres de poisson. En 1984, il en découvre 90. Il précise que ces vertèbres se trouvaient très fréquemment à proximité immédiate de fragments plus ou moins importants de harpons. Sur les 80 harpons découverts à Duruthy, seuls quelques-uns sont entiers (figure 2). Cet espace correspondant à moins de 6 m2 pourrait être interprété comme une zone de rejet où les consommateurs de poisson jetaient leurs déchets ce qui expliquerait l’état très fragmenté des harpons. 

Figure 2 – L’un des seuls harpons entiers de l’abri Duruthy © Aurélien Simonet

Dans les années 1990, une étude des restes de poissons a été réalisée par le spécialiste Olivier Le Gall (1954-2014) qui a décompté 252 vertèbres se répartissant en 153 os de saumon atlantique (Salmo salar), 46 de truites (Salmo trutta trutta), 51 de Salmoninés (sous-famille regroupant les saumons et les truites) non identifiés plus précisément et 2 vestiges de brochet (Esox lucius). La taille des saumons varie entre 60 cm et plus de 100 cm, la plupart se situant entre 80 et 90 cm. Les captures ont majoritairement été effectuées en fin de belle saison (septembre) et quelques prises de printemps ont été également documentées. Ces résultats convergent avec ceux obtenus sur les restes de renne de la couche 3 qui indiquent une chasse hivernale et une occupation de l’abri Duruthy pendant la saison froide.

30 ans après : de nouvelles études

En 2021, le Département des Landes a signé une convention de collaboration scientifique d’une durée de trois ans avec l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et le MNHN (Museum national d’histoire naturelle). L’objectif de cette collaboration est de reprendre l’analyse de l’ensemble des restes de poissons disponibles en combinant les méthodes classiques de l’archéozoologie et les techniques les plus modernes d’analyse.

L’étude des vertèbres sera réalisée à l’aide des collections de référence du Muséum national d’histoire naturelle. Elle permettra une reconstitution des tailles et biomasses des poissons consommés, une estimation des saisons de capture et une reconstitution des faunes et milieux exploités.

D’autre part, une étude archéogénétique sera également tentée dans le cadre du projet PALEOFISH pour mieux identifier certaines espèces de poissons dont la distinction est délicate par l’anatomie comparative, en particulier la truite et le saumon (figure 3). Ces analyses génétiques des poissons de Duruthy seront croisées avec celles d’autres poissons du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne. 

Elles permettraient alors de mieux comprendre la diversité génétique des populations passées de saumons, de truites et d’anguilles ainsi que leur histoire évolutive. Les données recueillies peuvent améliorer notre compréhension des réponses des écosystèmes aquatiques au changement climatique actuel et éclairer des stratégies de gestion efficaces.

Figure 3 – Saumon atlantique (Salmo salar) © Chromolithographie A. Mesnel d’après La Blanchère, 1868, p. 703

Les représentations paléolithiques de poissons dans les Landes

Les poissons sont peu présents dans l’art du Paléolithique par rapport aux chevaux et aux bisons par exemple. Mais leur proportion n’est pas négligeable non plus. Peu fréquents dans l’art pariétal, les poissons sont en revanche assez courants dans l’art mobilier* avec plus de 150 exemplaires bien identifiés. Gardons à l’esprit que de nombreuses autres représentations schématiques qui ressemblent à des poissons sont plus difficiles à interpréter. 

Les représentations de poissons caractérisent surtout le Magdalénien, un courant culturel du Paléolithique récent qui se retrouve uniquement en Europe de l’Ouest, daté entre 21 000 et 14 000 ans cal BP. On reconnaît surtout des truites et des saumons mais aussi des brochets, des anguilles ainsi qu’une sole à Lespugue en Haute-Garonne. D’un point de vue géographique, les poissons sont très fréquents en Dordogne et surtout dans les Pyrénées. Les grottes du Mas-d’Azil en Ariège et d’Isturitz dans les Pyrénées-Atlantiques sont celles qui en ont livré le plus grand nombre avec respectivement 18 et 17 exemplaires. La grotte de Lortet, dans les Hautes-Pyrénées, a par exemple offert d’exceptionnelles images de saumon en train de sauter. 

Figure 4 – Poissons dans l’art mobilier paléolithique du département des Landes © Nos 1 et 3 : d’après Arambourou, 1981, fig. 2. No 2 : d’après Lartet et Chaplain-Duparc, 1874, fig. 15. No 4 : photographie Aurélien Simonet

Dans le département des Landes, deux importants gisements préhistoriques ont livré des représentations de poissons : Brassempouy et l’abri Duruthy à Sorde-l’Abbaye. À Brassempouy, au moins deux représentations de poissons ont été identifiées dont une intéressante gravure sur os d’une dizaine de centimètres. Elle provient de la collection Laporterie conservée au musée de Borda à Dax. L’œil rond, la nageoire pectorale et la ligne qui divise longitudinalement le flanc en partant de l’ouïe sont bien indiqués (figure 4 – no 4). Le traitement graphique évoque un saumon. 

L’abri Duruthy a livré au moins quatre représentations de poissons. En 1980, Robert Arambourou en a découvert deux exemplaires dans la couche 4 : la gravure en léger relief d’une queue de poisson (figure 4 - no 1) et un petit contour découpé et gravé (figure 4 – no 3). Ces deux œuvres ne proviennent pas de la même couche que les vertèbres et sont légèrement antérieures. Deux autres images de poissons ont été découvertes au moment des fouilles du XIXe siècle. L’un est indéterminable tandis que l’autre évoque un brochet, à moins qu’il ne s’agisse d’un esturgeon ? (figure 4 – no 2 et figure 5).

Figure 5 – Moulage de la canine d’ours de l’abri Duruthy ornée d’un brochet © Aurélien Simonet

Ils ont été gravés sur deux des 55 dents d’ours et de lion associées à des restes humains. Répartis entre le musée Jean-Claude Boulard – Carré Plantagenêt du Mans et le muséum d’Histoire naturelle de Toulouse, ces restes humains et ces 55 dents d’ours et de lion constituent un ensemble funéraire exceptionnel. Il reste néanmoins difficile à dater précisément au sein du Magdalénien (Magdalénien moyen ?, Magdalénien supérieur ?). 

 

Pour en savoir plus :
Merlet J.C., 2016 – Le saumon, les gaves et l’Adour : une histoire millénaire, Bulletin de la Société de Borda, no 523, 3, p. 329-352.

 

Remerciements : tous mes remerciements s’adressent à Jean-Claude Merlet, président du Centre de recherches archéologiques sur les Landes (CRAL) et à Delphine Haro-Gabay, responsable du site départemental de l’Abbaye d’Arthous pour leurs relectures et corrections.

Glossaire

Art mobilier : en préhistoire, l’art mobilier désigne l’ensemble des productions utilisant la peinture, la gravure ou la sculpture sur objets de dimensions limitées. Ces œuvres comprennent aussi bien des armes, des outils, des ustensiles du quotidien que des objets sans fonction identifiée. Les supports sont de différents matériaux, en pierre, en os, en bois animal ou en ivoire.

BP : en anglais abrégé de before present, « avant le présent ». En préhistoire, les datations sont exprimées en nombre d’années comptées vers le passé à partir du présent. Le présent est fixé par convention à l’année 1950. Cette date a été choisie comme année de référence parce qu’elle correspond aux premiers essais de datation par le carbone 14. Les datations brutes obtenues demandent des corrections appelées calibrage. Une date calibrée est désignée par la mention cal BP.

Magdalénien : de l’abri de La Madeleine en Dordogne. Le Magdalénien est une phase du Paléolithique récent datée entre 21 000 et 14 000 ans avant le présent et se retrouve uniquement en Europe de l’Ouest. C’est la période du Paléolithique récent où les grottes ornées et les œuvres d’art mobilier sont les plus nombreuses et diversifiées. L’industrie osseuse est d’une richesse inédite et le bois de renne est particulièrement travaillé pour confectionner des sagaies et des harpons. Le débitage laminaire du silex peut être impressionnant comme celui d’Étiolles (Essonne). 

Paléolithique : issu du grec palaïos, qui veut dire « ancien », et lithos, qui signifie « pierre », littéralement « âge de la pierre taillée ». Cette période est la première et la plus longue de la Préhistoire. Elle débute avec l’apparition des premiers outils en pierre taillée, vers 3 millions d’années, et s’achève il y a environ 12 000 ans avec la fin de la dernière période glaciaire. Tout au long de cette période, le mode de vie est identique : les humains sont nomades et vivent de la chasse et de la cueillette. 
 

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